Il Concerto dell’acqua
Le troisième volet de la série 3 Easy Pieces, série de projets artistiques conçus dans l’espace public et produit par Lab’Bel, s’intitule Il Concerto dell’acqua et a été imaginé par l’artiste française Ariane Michel.
Le troisième volet de la série 3 Easy Pieces, série de projets artistiques conçus dans l’espace public et produit par Lab’Bel, s’intitule Il Concerto dell’acqua et a été imaginé par l’artiste française Ariane Michel.
Rendez-vous du 20 avril au 25 septembre 2022 à l’Officina dell’acqua à Venise, située au Campo San Fantin, 1894 (à deux pas de La Fenice) où l’artiste aura installé son atelier. Le soir sera le meilleur moment pour y passer.
Des performances auront lieu le 22 avril (à 21h00 au Palazzo Pesaro Papafava), ainsi que les 25 juin (à 22h00 à l’Officina dell’acqua, Campo San Fantin 1894), et 26 novembre (à 19h00 au Conservatoire Benedetto Marcello).
Il Concerto dell’acqua d’Ariane Michel est le troisième volet de 3 Easy Pieces, une série de performances déployées à Venise depuis 2005. Elles ont toutes eu lieu dans l’espace public, le plus souvent avec des partenaires non institutionnels, bien qu’elles aient cohabité avec la Biennale. Ce qui est aussi une façon de faire vivre l’art selon d’autres modus operandi dans une ville surchargée de transports et de pavillons d’une autre époque.
Ces « trois pièces faciles » ont été conçues en hommage à Stravinsky qui les a écrites pour ses propres enfants. Elles ont été réalisées en dialogue et en collaboration avec les Véni-tiens qui s’évertuent à vivre dans une ville si fragile. Après le Concertino Unisono de Michael Staab (2005) qui, dans le fil de Fluxus, faisait jouer une valse à l’unisson par les orchestres de la place Saint-Marc ou donnait des leçons d’orgue à l’église de San Rocco ; suite au parcours par les 435 ponts de la cité des Doges tracé par David Horvitz, voici une rencontre avec l’eau qui court sous nos pieds, entre —et parfois sur— les pierres même des rues et des palais.
Existe-t-il en Europe une ville plus utopique, plus parfaite dans sa bidimensionalité de carte postale que Venise ? Construite sur l’eau, sensible aux changements de lune et à l’acqua alta annoncée par une sirène dont le son varie avec la hauteur des eaux, la ville n’a cessé de s’adapter aux changements de circulation. Et les sirènes, qui dans la mythologie étaient des oiseaux, sont devenues des femmes-poissons.
Cet œil d’oiseau est au cœur du film en devenir d’Ariane Michel qui prend source dans les glaciers du Mont Blanc, la nuit. L’artiste a toujours confronté, partagé son regard avec celui des oiseaux, comme en témoigne la chouette perchée en haut du Jeu de Paume dans son film Les Yeux ronds (2005).
Le tableau de Caspar David Friedrich, La Mer de glace, m’est revenu en tête dès les pre-mières images du film qu’Ariane Michel compose pour son projet vénitien, Il Concerto dell’acqua. Nous sommes tous hantés par le changement climatique et les questions concrètes qu’il pose sur le monde anthropocène. Dans son film, il y a d’abord une totale absence d’êtres humains ou d’animaux. Notre mnémosyne de buveurs d’art ne peut que rap-procher les deux œuvres, mais une chose les sépare : Friedrich n’a jamais vu le glacier qu’il peint, alors qu’Ariane a marché sur ses pentes pour le filmer.
Ce projet n’est pas une théorie du cours d’eau qui descend de lointains glaciers pour baigner les marbres de San Marco. Il repose sur un autre cheminement, ancré dans les sons et dans les pas de l’artiste. De même que David Horvitz a parcouru à pied les 435 ponts de la ville, Ariane Michel est partie du Mont Blanc pour filmer au fil de l’eau – et tandis que j’écris ces lignes, elle voyage à pied, en train, en voiture pour rejoindre Venise. Notre corps est inséparable de son inscription dans le monde.
Un nouveau romantisme, me semble-t-il, saisit le regard de ceux qui, sans vivre à Venise, déplorent sa disparition annoncée. Certains Vénitiens comme mon ami Nicolo Zen regardent sa fin comme une chose naturelle : « Avant Venise il y avait Torcello et une autre ag-glomération de nos jours engloutie, après Venise il y aura une autre chose. » Ses mots me rappellent une formule de Timothy Morton dans son introduction à Realist Magic, « perdre une fantaisie est beaucoup plus difficile que perdre la réalité. » C’est peut-être là notre plus grand deuil : perdre notre fantaisie de Venise, nos projections sur le monde, nos rêves anciens.
Ariane m’a souvent dit se sentir proche des “jeux de ficelles” de Donna Haraway lors-qu’elle tente, par ses œuvres, de « retisser un lien entre la réalité et le fantasme, redessiner la cartographie de nos inconscients ».
Les images de son film sont muettes comme au début du cinéma… mais le Concerto dell’acqua, qui en compose la bande-son, est parcouru de voix. Des voix au timbre absent, qui ne sonnent ni humaines ni animales, mais qui parlent le langage de l’eau. Tous les sons ont pourtant un visage et un corps, celui de jeunes Vénitiens qui prêtent leurs cordes vocales ou leurs mains, et donnent au projet cette vitalité qui toujours excède les villes mourantes.
Les objets matériels disparaissent, mais une aura de sons résonne. Tous ces sons de glace qui craque, fond, s’écoule, d’eau qui goutte, ruisselle, clapote sont très vivants. Ils expriment un paysage qui double les détails des peintures du Tintoret. Ils créent un espace intermédiaire qui vibre comme un orchestre d’opéra avant la représentation, ou cet exact moment avant un atterrissage où le temps se suspend.
Je crois que nos espaces de vie ressemblent désormais à ça, à cet espace intermédiaire, à ce tuning qui vibre entre les images que nous touchons du bout des doigts sur nos écrans électroniques et la réalité de notre ancrage dans les lieux que nous arpentons au fil des pas.
Ce projet avec ses performances ne se réduit pas à un concert aquatique dans l’enceinte d’un campiello ou d’une cour de maison où le marbre et les humains échangeraient leur rôle. Il fait aussi écho aux concerts de rue du temps où un jeune prêtre rouge, Antonio Vivaldi, réunissait les voisins du quartier autour de quelques musiciens. Peut-être cette pensée est-elle encore un romantisme du passé. À moins que ce soit notre désir de nous rapprocher de nos voisins qui se fait chaque jour plus fort dans cette ville qui ressemble à une grande maison.
Mon souhait est de vous inviter à nous rejoindre, à venir nous voir, que vous habitiez à quelques ponts de là, ou que vous passiez par ici le temps d’une biennale. Sans doute est-ce à l’écart des Giardini et de l’Arsenal, mais venez et vous passerez dans un espace-temps où écouter vibrer toutes nos cellules.
Silvia Guerra, commissaire du projet
L’artiste
Née en 1973 à Paris, vit entre Paris et le Finistère.
Depuis une quinzaine d’années déjà, Ariane Michel se rapproche de bêtes, de plantes ou de minéraux munie d’outils d’enregistrement, mais aussi d’objets ou de rebuts qu’elle envisage dans leur potentiel vivant. Par un fin travail d’élaboration, ses films, installations ou performances recomposent des systèmes sensibles qu’on a dit susceptibles de nous « désanthropocentriser » (Ph. Descola). À la manière d’une chamane, elle déploie ainsi des toiles perceptives, faites des trajectoires croisées de guet ou d’écoute. Elle permet ainsi de s’arrimer au monde par bribes, ouvrir des brèches dans nos conceptions « modernes » et européennes, et, ce faisant, de retisser patiemment de nouvelles géographies mentales.
On a pu rencontrer ses oeuvres tant dans des centres d’art que dans des festivals et salles de cinéma, des forêts, des couloirs de métro, des vitrines de magasins, des lieux de culte ou sur des rivages. Une liste non-exhaustive comprend le Fid Marseille, le Festival de Locarno, Art Basel, le Jeu de Paume, la Fondation Ricard, Jousse Entreprise ou le MAMVP (Paris), à New York le MoMA, l’Anthology Film Archives ou le Bronx Park, le Centre d’art La Criée (Rennes), le jardin du HKW (Berlin, Les Rencontres Internationales), des cinémas de Hong Kong ou la Grande Mosquée de Paris pour la Nuit Blanche 2020.