Five Radio Stations #2

Les stations de Claude Closky, Jenny Odell, Yuri Suzuki, Isa Toledo et Nico Vascellari sont accessibles en ligne sur fiveradiostations.com.

Initié en 2023 par une première série, le projet Five Radio Stations prend la forme d’une plateforme accessible sur internet, rassemblant cinq visions de ce que pourrait être une station de radio dont la réalisation serait confiée à un.e artiste.

Procédant de commandes auprès de plasticien.ne.s, écrivain.e.s et compositeur.rice.s d’origines géographiques diverses, elles diffèrent, par leur contenu et leur forme, de l’esprit des podcasts qui sont prédominants sur les ondes aujourd’hui pour ouvrir des fenêtres sur leurs univers singuliers. Ici, au même titre que sur la plateforme en ligne qui leur est dédiée, les œuvres se découvrent en temps réel, sans possibilité d’interrompre l’écoute. Entre silences, sons naturels et sons artificiels, elles recentrent notre écoute, que l’on entende d’une oreille neuve un silence ou un oiseau qui chante dans une ville lointaine.

La saison de 2025 réunit cinq artistes d’origines géographiques très différentes : Claude Closky (France), Jenny Odell (États-Unis), Yuri Suzuki (Japon), Isa Toledo (Brésil) et Nico Vascellari (Italie).

Au même titre que la première saison, elle est réalisée sous le commissariat de Seb Emina et Silvia Guerra.

Le projet a été inauguré le 18 janvier 2025 à Paris, Passage Molière, dans le cadre d’un événement de lancement qui faisait suite à une proposition de Julien Viteau et Laurent Fiévet. La Maison de la Poésie accueillait la radio de Claude Closky dans sa petite salle et celle d’Isa Toledo dans sa bibliothèque ; la librairie EXC diffusait les oeuvres de Nico Vascellari et de Yuri Suzuki. La papeterie de L’Écritoire présentait pour sa part, la radio de Jenny Odell.

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Texte de présentation des commissaires

Dans les années 1950 et 1960, toute une flottille de petits bateaux jette l’ancre dans les eaux internationales, au plus près du continent européen, chacun d’entre eux émettant un signal radio. Parmi ces radios pirates originelles figurent Radio Mercur, qui mouille au large de Copenhague, Radio Nord du côté de Stockholm et Radio Caroline en mer du Nord vers Felixstowe, ville portuaire anglaise. Ces stations « nautiques » veulent échapper au double contrôle des entreprises et des gouvernements, et diffuser la musique qui leur chante. Mais la méthode choisie n’est pas sans conséquences : ne dirait-on pas que la toute première chanson diffusée par Radio Caroline — la reprise, par les Rolling Stones, de « Not Fade Away » — s’accompagnait d’embruns iodés jusque dans les chambres d’auditeurs londoniens, parisiens ou amstellodamois ? Et n’est-il pas vrai que cet imaginaire et ceux qui ont pris sa suite sont impossibles à retrouver lorsqu’on sélectionne la même chanson au moyen des interfaces sans saveur des services de streaming à la demande ? Ce qui est sûr, c’est qu’une radio est plus que la somme des sons qu’elle contient.

Aucun bateau ou autre station nautique n’a bien sûr été nécessaire pour diffuser les cinq œuvres sonores qui composent la seconde saison de Five Radio Stations. Internet et les technologies qui y sont liées ont, depuis longtemps déjà, fait tomber les barrières qui compliquaient autrefois la radiodiffusion, redéfinissant la notion même de radio. Pourtant, d’une manière ou d’une autre, le médium radiophonique a toujours le pouvoir d’établir une connexion avec des lieux réels, malgré les nouvelles complications mises en jeu par la dématérialisation des technologies — comme un certain sentiment, aliénant, de désincarnation. Ces complications, en regard du « monde réel » qu’elles ont pour effet d’aplanir, font partie des nombreux motifs que l’on retrouve dans cet ensemble d’œuvres inédites de Claude Closky, Jenny Odell, Yuri Suzuki, Isa Toledo et Nico Vascellari.

Rose Garden Radio de Jenny Odell restitue l’ambiance d’une roseraie californienne, au moyen d’enregistrements audio laissés bruts pour la plupart, comme la manifestation d’un désir d’oisiveté, en écho à son célèbre livre How to Do Nothing. Sur un mode similaire, Nico Vascellari propose de se téléporter jusqu’à une ville du nord de l’Italie via les ondes radio, grâce aux services d’un imitateur de chants d’oiseaux, dont la pratique traditionnelle nous force à changer de point de vue — de point d’écoute — pour adopter le langage d’une autre espèce. En exigeant des efforts d’imagination et de décentrement géographique, ces projets nous rappellent qu’il est important de faire attention à notre environnement immédiat. Autrement dit : il faut prêter l’oreille.

Pour la poète Patricia Lockwood, « l’attention est une chose sacrée ». Dans Talk-Show de Claude Closky, un discours politique déploie, sans jamais se répéter, une rhétorique taillée sur mesure pour notre monde hypermédiatisé. Même arraché à son contexte d’origine, le propos reste capable de retenir notre si précieuse attention, avec une efficacité étonnante sinon troublante. Et chez Isa Toledo, le monologue polyphonique que tisse Redescription ne libère pas seulement la voix intérieure de l’artiste mais aussi celle d’un robot conversationnel utilisant une IA de pointe, dans un défilé de références littéraires désincarnées : une radio pour l’individu cyber-fragmenté.

Enfin, AI Acid FM de Yuri Suzuki nous ramène aux radios pirates, que l’artiste écoutait dans sa jeunesse, à la fin des années 1980, alors qu’elles avaient migré des océans vers les villes et qu’émergeait le genre de l’acid house. La musique synthétique et frénétique de cette station radio, animée par un robot à la voix métallique s’exprimant en japonais, est une manière de leur rendre hommage. Procédant à la fois d’une IA générative et d’un patient travail de curation pour récréer le son précis d’une sous-culture disparue, l’œuvre se propose comme une forme de négociation possible entre réalité et simulation.

Selon nous, les cinq oeuvres rassemblées dans cette seconde saison, tout autant que celles qui les ont précédées, prouvent que l’expérience d’écoute collective permise par la radio est tout sauf obsolète. Et que les artistes gagnent à exploiter pleinement ce potentiel.

Par Seb Emina et Silvia Guerra, commissaires du projet
Traduit de l’anglais par Lucas Faugère

 

LES ARTISTES ET LEURS PROJETS

 CLAUDE CLOSKY
Né en 1963 à Paris (France)
Vit et travaille à Paris (France)
Auteur d’un oeuvre éclectique, Claude Closky joue avec tous types de systèmes, de normes, de logiques, qu’ils soient métriques, mathématiques, alphabétiques ou grammaticaux. Il mobilise avec économie de moyens une grande variété de médiums — dessin, vidéo, photographie, peinture, son, etc. — pour dérégler les mécanismes les mieux huilés.

Talk-Show
[Programme continu et autogénérateur]
Dans Talk-Show, cinq voix distinctes, mais non identifiées, plongent l’auditeur au coeur d’un tourbillon de mots, à la manière de ce qui se joue dans les débats télévisés. Qui sont ces orateurs tentant de convaincre les auditeurs à grand renfort de petites phrases et de formules toutes faites ? La troublante artificialité du dispositif fait résonner leurs argumentaires comme autant de performances artistiques. En utilisant exclusivement l’anglais, Claude Closky met à profit les recherches menées par Alastair Pennycook ou Jan Blommaert autour du statut privilégié dont jouit aujourd’hui cette langue partout dans le monde, nouvelle lingua franca instrumentalisée pour fabriquer des identités ou créer des rapports de force.

 

JENNY ODELL
Née en 1986 à San Francisco (USA)
Vit et travaille à Oakland (USA)
Jenny Odell est une artiste multidisciplinaire dont les oeuvres reposent souvent sur des formes de surveillance ou d’enquêtes, qu’elles soient mises en oeuvre pour l’observation des oiseaux, qu’elles procèdent de collecte de captures d’écran ou qu’elles analysent des propositions de commerce électronique insolites. Elle s’intéresse tout particulièrement aux contextes qui influencent notre perception et notre compréhension du monde. Elle est l’auteure de différents ouvrages parmi lesquels Pour une résistance oisive : Ne rien faire au XXIe siècle et Saving Time: Discovering a Life Beyond the Clock.   

Rose Garden Radio
[Boucle audio, 02:59:58]
Rose Garden Radio saisit l’atmosphère d’une roseraie — de façon brute et dépouillée comme le ferait un voyageur immobile. Captés le temps d’une semaine, rires d’enfants, turbines d’avions, instruments de musique, et bruits de chasse d’eau s’y succèdent. Par moments, la voix de l’artiste intervient, en complément à la récolte de sons rassemblés. Avoir choisi le Morcom Rose Garden d’Oakland en Californie ne relève en rien d’un hasard. Jenny Odell s’y référait déjà en 2017 dans sa conférence devenue depuis célèbre, « How to Do Nothing », dont elle a tiré en 2020 un livre à succès homonyme.

 

YURI SUZUKI
Né en 1980, à Tokyo (Japon)
Vit et travaille à Londres et Margate (Angleterre)
Designer et musicien, Yuri Suzuki produit oeuvres sonores et musique électronique. Brassant plusieurs cultures et genres musicaux, ses oeuvres explorent les rapports sociaux. L’ouverture à l’autre et l’inclusion apparaissent comme des notions cruciales dans sa pratique artistique, qu’il conçoit toujours comme accessible au plus grand nombre.

AI Acid FM
[Programme continu et autogénérateur]
AI Acid FM diffuse des contenus exclusivement générés par l’intelligence artificielle. Des morceaux d’acid house, d’acid techno et de rave music s’y enchaînent dans un mix structuré par MusicLM – l’outil de génération musicale d’intelligence artificielle de Google. Chaque morceau intégré à la playlist rend compte de l’intérêt de l’artiste pour ces contre-cultures musicales singulières, leurs histoires et leurs discographies. La démarche proposée confère une fausse profondeur historique à un contenu directement généré par l’IA.

 

 

ISA TOLEDO
Née en 1990 à São Paulo (Brésil)
Vit et travaille à Lisbonne (Portugal)
La pratique multidisciplinaire d’Isa Toledo aborde les champs des images filmiques, des images circulant sur les réseaux sociaux, de la tradition, et des normes sociales que les médias perpétuent au sujet des questions de genre et de classe. Elle s’intéresse également au langage, aussi bien oral qu’écrit, et aux outils qui façonnent l’écriture.

Redescription
[Boucle audio, 01:20:00]
Redescription prend pour point de départ dix-neuf carnets où Isa Toledo consigne depuis 2013 des citations littéraires, parfois agrémentées de ses propres réflexions et commentaires. En utilisant ChatGPT pour en organiser et analyser le contenu, l’artiste en propose une orchestration tout aussi surprenante qu’ambiguë. À la manière d’un long slam, Redescription égrène des extraits d’oeuvres de Virginia Woolf, Thomas Paine, Hérodote, Samuel Beckett ou Sēi Shōnagon, brouillant les frontières entre journal intime, recueil de citations et discours généré par l’intelligence artificielle.

 

NICO VASCELLARI
Né en 1976 à Vittorio Veneto (Italie)
Vit et travaille à Rome (Italie)
La pratique multidisciplinaire de Nico Vascellari se déploie en performances, sculptures, installations, dessins, vidéos et explorations sonores. Sensible à l’approche scientifique et souvent immersive de l’anthropologie, l’artiste étudie les relations qui unissent les humains à la Nature, aux phénomènes et rituels immémoriaux, au folklore et aux traditions populaires.

Total Resistance
[Boucle audio, 00:10:00]
Pour Total Resistance, Nico Vascellari a fait appel à un chioccolatore, ou imitateur de chant d’oiseaux, représentant d’une tradition de la Vénétie natale de l’artiste, au nord de l’Italie, et l’a invité à déambuler dans différents lieux de Vittorio Veneto — un bureau de poste, un supermarché, un café, une église, etc.— où les chants d’oiseaux se mêlent au brouhaha du quotidien. L’artiste avait déjà exploré l’étrange et captivante figure du chioccolatore en 2018, à l’occasion de sa performance Revenge au MAXXI de Rome.

 

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